« La Tragédie du Joola en Bande Dessinée : Quand la Mer Devient un Miroir de Nos Fautes Collectives »
Au travers de son dernier chef-d’œuvre, l’artiste suisse Stefano Boroni offre un hommage poétique aux victimes du funeste naufrage du 26 septembre 2002, pointant du doigt les responsabilités partagées dans cette tragédie.
Au cœur des coordonnées glaciales d’un point de l’Atlantique, au large de la Gambie, se cache un drame. Le 26 septembre 2002, à 23 heures, 1 863 âmes trouvèrent leur dernier repos. Toutes étaient à bord du Joola, un navire qui reliait Ziguinchor à Dakar, quand il bascula en quelques instants.
Parmi les victimes se trouvaient des amis du dessinateur suisse d’origine italienne Stefano Boroni. Cette proximité explique sans doute en partie l’empathie et la sensibilité qui imprègnent sa bande dessinée dédiée à cette tragédie, intitulée « Que la mer vous soit légère, la vraie fable du bateau Joola. » Contrairement à une approche chronologique, cet album adopte le style d’une fable philosophique.
Boroni ne s’attarde que brièvement sur l’histoire du navire : « Il est né au bord du Rhin, à Germersheim, en Allemagne, et pèse 1 532 tonnes pour 79,50 mètres de long et 12,50 mètres de large. En 1988, après quelques mois passés à l’usine, il a pris sa route pour Rotterdam. Et, en décembre de la même année, il a pris ses fonctions, assurant d’innombrables fois la liaison entre Dakar et Ziguinchor. Sauf le 26 septembre 2002. Ce jour-là, le navire a chaviré. » Plus de deux décennies après le drame, l’artiste ose une approche poétique, plaçant quelques passagers au fond de l’océan, commentant leur propre tragédie comme s’ils respiraient normalement.
Ainsi, dans les profondeurs sous-marines, on retrouve le capitaine du Joola, un rebelle casamançais, un colonel sénégalais, un professeur d’université, un jeune fan de football, une grand-mère, une voyante, une jeune actrice… Des archétypes représentatifs de la société sénégalaise. Les dialogues sous-marins, bien que fantaisistes, révèlent des vérités cruelles. Les querelles persistent même face à la mort imminente, pointant les responsabilités collectives.
La question des responsabilités reste en suspens, mais les coupables semblent nombreux. Le capitaine affirme : « Ce bateau a toujours transporté bien plus que les 550 passagers autorisés. Personne ne vient me demander mon avis ! On me met devant le fait accompli ! Vous croyez que je pouvais prendre la liberté de faire débarquer une partie des passagers ? Et le bétail et la cargaison ? C’est l’armée qui exploite le ferry !!! C’est eux qui vendent les billets ! » Le colonel réplique : « L’armée ? C’est trop facile de tout lui mettre sur le dos. Et la billetterie clandestine parallèle, vous en faites quoi ? »
Malgré le désespoir, un souffle d’espoir subsiste. Au fond de l’océan, les personnages contemplent le Joola renversé flottant à la surface, chargé de ses centaines de cadavres. Boroni évoque subtilement l’idée que l’amour du prochain pourrait être la solution.
Cet album en noir et blanc, agrémenté de dessins en couleurs d’artistes amis, offre également des éléments factuels sur la tragédie, une chronologie des événements, un témoignage d’un survivant et une liste complète des victimes. Il est dédié à « tous les êtres qui dansent autour du Joola. »
Dans « Que la mer vous soit légère, la vraie fable du bateau Joola » de Stefano Boroni, l’Harmattan BD, Sept Editions, la tragédie du Joola prend vie sous un angle philosophique, mettant en lumière les responsabilités partagées dans cette fable tragique.