sunuculture

Le Choix de la Diversité

DAK’ART 2024 : À LA DÉCOUVERTE DE LA PLASTICIENNE FRANÇAISE ANOUCHKA DESSEILLES

« Jusqu’au 7 décembre 2024, les œuvres de l’artiste française Anouchka DESSEILLES sont exposées à la Galerie VEMA. Elles font partie de la 15e édition de la Biennale de Dakar. La plasticienne offre aux visiteurs une occasion unique de découvrir l’univers des centres de détention de la capitale sénégalaise.

Elle invite le public à réfléchir sur les rapports sociaux, les droits et le respect de la dignité humaine.

SUNUCULTURE est allé à la rencontre de cette artiste, qui entretient des liens particuliers avec la terre sénégalaise. »

SUNUCULTURE : Bonjour Mme Anouchka Desseilles. Pouvez-vous nous parler de votre parcours artistique ?

Anouchka Desseilles : Je suis diplômée de l’École Nationale Supérieure des Beaux-arts de Paris (ENSBA) en 2002. En 2005, je découvre le Sénégal grâce à un ami, Camille Couteau, qui y vit maintenant. Depuis, mes peintures ont été un moyen de réfléchir sur les rapports complexes entre les sociétés occidentales et le continent africain. J’ai travaillé sur des sujets comme les racines et les conséquences de la colonisation, notamment à travers la figure de la résistante casamançaise Aline Sitoé Diatta. Cela m’a aussi permis d’explorer la destruction de l’économie locale des villages et la mondialisation, avec l’importation de produits comme les céréales et légumes.

J’ai revisité l’histoire de l’art, en particulier la représentation du modèle noir dans la peinture française du XVIIIe siècle. J’ai travaillé sur l’œuvre de José Conrado : La Mascarade nuptiale et son modèle, Siriaco. L’idée était de déconstruire l’idéologie du « siècle des Lumières » et sa vision de la blancheur.

J’ai aussi revisité Le Radeau de la Méduse de Théodore Géricault, en abordant la question des personnes en exil ou en migration. Vous pouvez retrouver une interview sur ce sujet sur Internet, notamment lors de mon exposition à La Rochelle, une ville portuaire française liée au commerce triangulaire.

SUNUCULTURE : Vous venez de participer, dans le cadre des OFF, à la quinzième édition de la Biennale de Dakar. Comment s’est passée votre collaboration avec la Galerie VEMA ?

Anouchka Desseilles : Binette Cissé, l’initiatrice des OFF, est une figure clé de la promotion de l’art africain. Je lui suis reconnaissante pour sa confiance et son ouverture d’esprit. Bien que mon travail soit centré sur le Sénégal, je n’ai pas d’origine africaine. C’est la deuxième fois que mon travail est exposé à la galerie VEMA. Je remercie Binette Cissé et Idrissa Diallo, le directeur artistique, pour leur accueil. J’ai eu l’honneur d’être exposée aux côtés d’autres artistes du Maroc, de Guinée et du Mali dans cet espace magnifique.

Pour revenir à l’origine de ce projet, c’est Fodé Sylla qui est à l’initiative de cette rencontre. Grâce à lui la galerie Frédéric Roulette qui représente mon travail à Paris s’est mis en relation avec Binette Cissé afin d’entreprendre d’autres partenariats.

La galerie Frédéric Roulette exposera d’ailleurs prochainement Zoulou N’Baye en France. Je souhaiterai également remercier Lourse qui m’a soutenu pour cette exposition à la Galerie Vema.

SUNUCULTURE : Quelle sont les œuvres qui ont été exposées et comment l’avez-vous conçues ?

Les œuvres exposées dans le cadre de la XV eme Biennale off de Dakar sont présentées sous la forme d’une installation. Elles reconstituent les murs d’enceinte d’une cour de prison. Ce travail fait suite aux échanges qui ont eu lieux dans les maisons d’arrêt des femmes et mineurs de Dakar, Rufisque et Thiès.

La chanteuse Agsila qui réalise des concerts depuis plus de 10 ans m’a proposé de l’accompagner. J’ai donc réalisé sur place le portrait des détenus et initiée comme je le fais en France des ateliers de dessins.

De retour en France, j’ai souhaité réaliser cette installation, retranscrire l’éveil des sens que procure la vibration de la musique, le plaisir de la danse à l’écoute des musiciens et donc une forme de langage libératoire par le geste et le rythme de ces femmes et mineurs dans l’enfermement.

SUNUCULTURE : Quels matériaux et techniques avez-vous utilisés, et pourquoi ces choix particuliers ?

Le choix du support papier Tyvek, de par sa transparence et sa légèreté, m’a permis d’évoquer les murs d’enceinte et le souffle des corps en mouvement. L’utilisation de l’encre très fluide et l’ampleur de la dimension du papier m’a contraint à travailler au sol sous forme d’improvisation.

SUNUCULTURE : Quelle est la principale thématique abordée à travers vos œuvres ?

Ma volonté était d’utiliser la métaphore de la prison, d’évoquer le caractère délictueux de l’Anthropocène, des fossoyeurs de notre écosystème et de soulever ainsi la question de la gravité des actes et de la hiérarchisation des peines.

SUNUCULTURE : Y a-t-il une corrélation quelconque entre le contexte socio-politique et vos œuvres ?

En France comme au Sénégal, on peut se retrouver fiché, privé de ses droits de liberté pour avoir manifesté, contesté le gouvernement. (Rappelons-nous les gilets jaunes en France, les émeutes à Dakar ou bien le parcours d’Angela Davis aux E.U…).

A l’inverse de nos sociétés occidentales aux certitudes cartésiennes, pragmatiques et capitalistes qui élèvent des murs aux frontières des pays, je souhaitais mettre en avant par la peinture les sociétés aux croyances animistes, lesquelles selon Philippe Descola « n’auraient jamais songé à arrêter les frontières de l’humanité aux portes de l’espèce humaine ».Le final de l’installation se termine par la représentation d’humains et d’animaux sous formes d’empreintes, mais aussi par l’inclusion de toute une collectivité d’existants: insectes, végétaux, minéraux.Rappelons-nous que dans les habitations amazoniennes chez les Achuar: à quelques pas du jardin, l’on bute sur la forêt.

SUNUCULTURE : Selon vous, comment l’art africain se positionne-t-il dans le paysage mondial de l’art contemporain ?

L’art Africain se positionne de manière excellente à l’Internationale. Dans le cadre de la Biennale, j’ai particulièrement apprécié les peintures de l’artiste originaire de Casamance Arébénor Basséne qui donne vie à une forme d’expressionnisme figuratif en revisitant à sa manière la technique du Batik, matériaux qui témoignent de l’histoire des routes maritimes. De manière général, je trouve qu’il y a une réal vitalité, souffle et énergie dans la peinture, la sculpture, le design africain.

L’œuvre d’Oumar Ball sculpteur Mauritanien exposé à l’ancien Palais de Justice m’a particulièrement impressionné dans son recyclage de tôles de fer et autres métaux, Les tissages du Cap Vert aux Musées des traditions Noires de l’artiste Bela Durate, décédée aujourd’hui m’a interpellée par son œuvre Immigration de 1990. La littérature africaine nourrie également mes recherches plastiques : j’apprécie beaucoup les œuvres d’écrivains contemporains tels qu’In Koli Jean Bofane (Kino-Congolais) : INC Congo.

Le procès de Bismarck, Mathématiques Congolaises, Fiston Mwanza Mujila (Congolais) : Tram 83, Mohamed Mbougar Saar (Sénégalais) : De purs hommes, Chigozie Obioma (Nigéria) : Les Pêcheurs, la Prière des oiseaux.

SUNUCULTURE : Quelles sont vos aspirations futures dans votre pratique artistique ?

J’aimerai apprendre le wolof, le diola.Je serai ravie qu’une institution, une fondation me propose une résidence au Sénégal ou sur le continent africain.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *